je prendrai les Zattere jusqu’à la Douane, un signe sans un geste à la fortune et à ses deux esclaves, j’aurai à l’esprit Hercule, les écuries, les pommes du jardin, jusqu’à la Salute, je m’inclinerai sans bouger, en face au café sur la terrasse, des gens aux lunettes de soleil – il fera beau, tu sais – je resterai un moment à l’ombre – le matin je suppose, mais il fera beau – à rebours, j’irai voir un peu, de loin, l’île, un taxi emporte les clients, sur le môle on ôte les voiles noires des gondoles, l’eau claire, je marcherai au soleil, un peu comme avant, un peu comme quand on avait l’âge de ne pas se faire de souci ou d’avenir noir – les mains aux poches, peut-être que je rentrerai dans cette église où Vivaldi faisait jouer ses airs, une pièce de cent lires (je me souviens des escudos et des moments passés sur les bords du Tage, sous les arcades de la place, avec ce libraire assis sur son petit tabouret pliant, qui se lève tout à coup et marche mains au dos veste fermée de deux boutons, lui et ses cheveux peignés et blancs et gris – il attend un peu peut-être) une pièce de cent lires glissée pour allumer cette lumière qui pense à mes morts mais seulement pendant quelques heures – le temps que se consume une petite chandelle, comme celles posées, parfois, au coin de l’Orillon-Saint-Maur, près de la statue de saint-Joseph, alors que je ne crois ni à dieu ni à diable, ni aux Beatles ni à Zimmerman comme disait l’autre – je ressortirai et au soleil il sera midi
Piero Cohen-Hadria
Très doux, Venise et puis le coin de l’Orillon Saint-Maur, il sera midi, on boira une mauresque
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